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Manipulation

Mauvais usages et bonnes pratiques – partie 1

Qui n’a jamais manipulé quelqu’un pour atteindre son objectif ? Qui n’a jamais utilisé son plus beau sourire et sa voix d’animateur de talk-show pour convaincre et influencer ? Pour certains, la manipulation est l’art d’argumenter et de séduire ; pour d’autres, un jeu pervers pour soumettre un individu et afficher sa supériorité.

Lorsqu’un manipulateur nous bloque, on ressent inévitablement un sentiment de malaise et de vulnérabilité, car le toxique met sous pression sans en avoir l’air. Il n’a qu’un but sous-jacent : que vous preniez la bonne décision (celle qui va dans son sens) et que vos agissements servent son objectif. Vous n’êtes généralement qu’un pion à manœuvrer, un acteur de son dessein englué dans sa toile.

too 46 société Manipulation
too 46 société Manipulation

Pourtant, il existerait une autre façon de manipuler, plus éthique, qui laisserait à l’autre la possibilité d’utiliser son libre arbitre. Bon joueur, le manipulateur bienveillant (contrairement au toxique) se positionnerait en tant qu’égal, dévoilerait ses intentions, jouerait la carte de la synchronisation, influencerait, mais laisserait in fine à son interlocuteur la liberté de la décision finale. Comme nous l’explique Fabien Olicard dans son best-seller L’antiguide de la manipulation aux éditions First, la manipulation étant présente dans tous les domaines de notre vie (consommation, job, amitié), il est utile d’en maîtriser les mécanismes pour contrer les mauvaises intentions. De plus, en adaptant notre communication, plutôt qu’en manipulant, on évite de tomber du côté obscur de la force.

Éloigner le caractère malhonnête

Le langage non verbal est une communication tout aussi puissante que les mots. Il s’agit ici de différencier le fond et la forme de l’information. Les expressions, mouvements, le choix des mots et les intonations contribuent à créer une synchronisation avec autrui. Nous sommes donc tous des acteurs qui influencent le monde extérieur. Si l’influence est une orientation à l’issue positive, la manipulation possède un caractère malhonnête. Pour Fabien Olicard, une manipulation bienveillante peut exister à condition que l’on laisse à son interlocuteur la possibilité de dire non et qu’on lui permette de conserver son libre arbitre sans altérer la relation. Paradoxalement, on peut influencer l’autre positivement en utilisant des techniques de manipulation à la seule condition de respecter quelques règles fondamentales : communiquer sur ses intentions de façon bienveillante et laisser à l’autre une porte ouverte pour dire non.

Les rituels de l’auto-manipulation

L’apprentissage de la manipulation débute dès notre plus jeune âge dans la mesure où l’on met en place des rituels pour tromper notre cerveau. Pensez au petit ange que vous étiez… Le soir venu, vous aviez certainement pris l’habitude de vous laver les dents, d’attraper votre doudou, de lire une histoire, d’allumer votre veilleuse, de faire un bisou à vos parents pour vous mettre en situation d’endormissement ! Vous faisiez ainsi croire à votre cerveau que vous étiez épuisé et que vous aviez besoin de dormir, même s’il n’était que 20 heures. Les études sur le conditionnement menées par Pavlov en 1903 ont mis en lumière que les chiens mis dans les mêmes dispositions chaque jour au moment du repas salivaient bien avant l’arrivée de leur nourriture. La ritualisation d’un apprentissage pouvait ainsi provoquer des réponses conditionnelles à un stimulus neutre. En créant des habitudes bien orchestrées, on pourrait donc tromper notre mental et le persuader de l’arrivée prochaine d’une récompense — l’effet escompté. Dans la vie de tous les jours, on crée inconsciemment une multitude de rituels dans l’objectif de se mettre sur le mode adapté à la situation que l’on va vivre. De là à dire que l’on pourrait conditionner l’autre pour qu’il aille dans le sens de ses espérances, il n’y a qu’un pas !

too 46 société Manipulation PART1
Illustrations DR : ©Anne Suze, alias Nouchka

Tous bourreaux ?

L’expérience de psychologie publiée en 1963 par le psychologue américain Stanley Milgram a été menée pour évaluer le degré d’obéissance des habitants des États-Unis quelques années après la Seconde Guerre mondiale. Hanté par les atrocités de l’holocauste, l’objectif de Milgram était de comprendre les mécanismes psychologiques qui avaient conduit des milliers d’hommes à torturer et à tuer des innocents et de comprendre le processus de soumission à l’autorité d’un individu face à un cas de conscience. Sous prétexte d’étudier l’efficacité de la punition sur l’apprentissage, il demanda à des participants rémunérés d’administrer des décharges électriques à des tiers. Les participants/bourreaux, qui avaient sans le savoir à faire à des acteurs qui simulaient la douleur, ne savaient pas que les décharges électriques en question étaient fictives. Dans 65 % des cas, les participants infligeaient les souffrances maximales à leurs victimes si on leur ordonnait. En résumé, en déresponsabilisant l’autre, on peut sans difficulté lui faire adopter des comportements sadiques et inhumains, dignes des nazis.

J’ai un petit service à te demander…

La plupart des manipulateurs minimisent leur demande (un petit service), simulent une posture basse, flattent leur interlocuteur et jouent la carte de la complicité pour attirer leur victime dans leurs filets — la technique du corbeau et du renard. Se sentant coincée, incapable de dire non et pétrie de culpabilité́, la victime s’engage et se sent inapte à̀ rebrousser chemin car tout individu a besoin de cohérence dans son comportement. Généralement, elle s’en veut par la suite d’avoir été trop lâche pour refuser la demande, ce qui lui semblait impensable sur le moment. C’est la peur du conflit dans un premier temps, puis celle de paraître incohérent qui nous poussent à accepter des choses que l’on n’a pas envie de faire. Sans libre arbitre, les individus sont vulnérables et les manipulateurs en profitent pour prendre les rênes.

Accepter son ignorance

Pour prendre de bonnes décisions, l’humain a besoin de connaissances. Fabien Olicard met en lumière notre fâcheuse tendance à l’ultracrépidarianisme, un comportement consistant à donner son avis sur des sujets sans compétence crédible ou démontrée. On peut comparer ce terme à la cuistrerie. Étymologiquement, l’ultracrépidarianisme serait un dérivé de la locution latine Sutor, ne supra crepidam (« Cordonnier, pas plus haut que la chaussure ! »), qui équivaut à l’expression « À chacun son métier ». L’ultracrépidarianisme ne dénonce pas le fait de parler sans savoir ; mais davantage celui de s’exprimer hors de son domaine de compétence. Intégré́ dans la catégorie des biais cognitifs sous le nom d’effet Dunning Kruger, cette capacité́ à s’auto-manipuler en se persuadant que l’on a suffisamment de connaissances pour prendre une décision dans la précipitation a été mise en exergue par les psychologues américains David Dunning et Justin Kruger. Pour contrer ce biais, il suffirait pourtant de suspendre le temps et de répondre que l’on n’a pas suffisamment d’informations et de connaissances pour prendre cette décision à cet instant pour cesser de se faire manipuler. En somme, en acceptant son ignorance, on pourrait reprendre le contrôle.

Les ficelles de la précipitation

La pression ressentie par une victime de manipulation provient souvent du rythme imposé et de la peur de ne pas être à la hauteur ou de rentrer en conflit. Le manipulateur exige un engagement immédiat pour ferrer définitivement sa proie. Un proverbe sied particulièrement à ce type de pervers : « On lui donne un doigt et il vous prend le bras ». Le petit service du départ grossit à vitesse grand V au fil du temps ou de la conversation si vous ne posez pas de limites. En s’engageant à la va-vite, vous laissez l’autre prendre le pouvoir sur vos émotions. Prenons le cas de l’achat d’un téléphone dans une grande enseigne. Vous avez choisi un modèle qui correspond à vos attentes et à votre budget, mais il vous faut passer par la case vendeur pour commander votre mobile. Vous voilà̀ donc embarqué dans une discussion que vous n’aviez pas anticipée qui dérape sur l’achat d’un modèle plus récent et plus cher. Qui plus est, il y a une offre qui vous permet pendant 24 heures d’acquérir les écouteurs wifi les plus en vogue du marché pour 120 euros supplémentaires… Une offre si alléchante qu’elle semble impossible à refuser. Résultat, vous vous retrouvez à la caisse à payer 300 euros de plus que prévu. Qu’auriez-vous perdu à demander un délai de réflexion et à rentrer chez vous les mains vides ? Vous vous seriez peut-être aperçu que l’offre n’était pas si avantageuse et qu’en restant sur le modèle initialement prévu, vous auriez pu acheter des écouteurs à un meilleur tarif à un moment plus favorable pour vos finances. Notre radar à manipulation devrait s’activer dès lors que l’immédiateté fait partie du deal ou que l’offre semble trop alléchante pour être honnête.

Jeux de rôles

En 1968, le psychiatre Stephen Karpman met en lumière un modèle théorique basé sur les jeux psychologiques entre deux individus à l’origine de conflits. Ce schéma d’analyse transactionnelle montre comment dans une même conversation, on peut endosser les différents rôles de victime, de sauveur et de persécuteur. Plutôt que d’exprimer ses émotions, on met en œuvre une mécommunication source de fatigue et de stress psychologique. En endossant l’un des rôles, l’individu incite l’autre à adopter un rôle complémentaire. La victime attire le sauveur dans ses filets (quand elle veut qu’il fasse quelque chose pour elle), mais aussi le persécuteur (pour renforcer son statut de victime et attirer l’attention). Le sauveur crée une dépendance auprès des victimes en résolvant ses problèmes à leur place et en les autorisant à échouer. Il attend un persécuteur et une victime pour le légitimer. C’est un rôle très gratifiant d’un point de vue narcissique. Souvent, ceux qui sont dans le rôle de sauveur sont dans l’évitement de leur propre problème. Le persécuteur, quant à lui, invite l’autre à se positionner comme victime. Il a tendance à vouloir le contrôler, le critiquer et l’oppresser. Il finit souvent par lui reprocher ce qu’il est lui-même. Quand un manipulateur persécute quelqu’un, c’est généralement pour endosser ensuite le rôle de sauveur.

Refusez d’être prévisible

Un modèle thérapeutique appelé The Winner’s Triangle a été élaboré par Acey Choy en 1990 pour permettre aux patients de modifier leurs interactions sociales. Il incite ainsi les victimes à accepter leur vulnérabilité, à être plus conscientes d’elles-mêmes et à résoudre leurs problèmes en toute autonomie. Il invite aussi les persécuteurs à communiquer franchement sur leurs intentions et à s’affirmer sans punir. Enfin, il pousse les sauveurs à montrer leur intérêt et leur empathie, sans pour autant résoudre le problème de l’autre pour qu’il reste autonome. La plupart des manipulateurs utilisent le triangle de Karpman pour faire rentrer leurs proies dans le rôle qui leur convient et jouer avec leurs émotions. Dites-vous qu’en rentrant dans son jeu, vous devenez prévisible, alors qu’en sortant de ce triangle dramatique, vous lui coupez l’herbe sous le pied.

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Les petites manœuvres des marketeurs

Le storytelling. Générer de l’empathie en racontant l’histoire de celui qui a créé la griffe permet aux clients de s’identifier au fondateur, de créer un lien fort avec la marque, mais aussi de cimenter la relation commerciale sur le long terme. On casse les prix. La bonne affaire produit son lot d’excitation (la peur de rater l’affaire du siècle) et déclenche l’achat d’impulsion. Les marques ne s’y sont pas trompées avec l’utilisation du drop shipping : la production et la vente de produits à bas coûts vendus vingt fois leur prix, puis remisés artificiellement à moins 70 %. Ego et envie. Le neuromarketing identifie les leviers mentaux qui stimulent l’ego et l’envie chez les consommateurs. Il s’appuie, entre autres, sur les comparaisons sociales, la volonté de donner envie et de rendre jaloux son entourage.

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Comment déjouer une tentative de manipulation

Quand vous sentez monter le malaise ou, du moins, la gêne inhérente à toute manipulation, faites clignoter vos warning intérieurs et préparez-vous mentalement à sortir du jeu. Démasquez gentiment votre interlocuteur en lui expliquant que cela va trop vite pour vous. Mettez KO votre culpabilité en décryptant les demi-vérités, en rationnalisant, et pointez du doigt le peu d’informations dont vous disposez pour prendre une décision ferme et définitive. Ne laissez pas l’autre altérer votre confiance en vous. Dites-vous également que ce n’est pas vous qui avez amené cette situation sur la table et que si la personne vous a sollicité, c’est qu’elle vous reconnaît une valeur. N’hésitez pas à sortir du jeu si la pression est trop intense en baragouinant une excuse ou en prétextant un rendez-vous. Prenez du recul pour comprendre en quoi la situation est néfaste pour vous et revenez à la table des négociations une fois que vous avez toutes les cartes en main. Au-delà du choix souvent binaire que le manipulateur vous a proposé, il y a certainement d’autres alternatives qui contenteraient tout le monde… Et si, après réflexion, vous voulez tout simplement dire non, vous saurez le justifier avec aplomb et fermeté.


A suivre : les parties 2 et 3 de notre dossier sur la manipulations : 5 techniques de manipulations et 10 biais cognitifs à l’usage des manipulateurs.

TOO #46

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