L’éducation
Quand je suis partie en voyage le premier weekend des vacances de la Toussaint, l’avion était plein de petits Français accompagnés de leurs grands-parents. Perso, je trouve généralement les enfants sympas, curieux et divertissants. Mais au bout d’un quart d’heure, j’ai subitement changé d’avis. Derrière moi, un couple de sexagénaires exaspérés par deux gamines rouges d’excitation vociférait des appels au calme. Je me suis tout de suite demandé si ces hurlements étaient un moyen d’affirmer leur autorité auprès de leurs descendantes ou une façon détournée de justifier leur attitude auprès des voyageurs. Heureusement, une hôtesse expérimentée s’en est mêlée et a su négocier avec les deux bambines. Si elles se conduisaient comme des adultes responsables pendant plus de 10 minutes, elle leur apporterait coloriages, casques et bonbons. Elle leur a parlé si calmement que les deux petits monstres ont immédiatement changé d’attitude. En France, les enfants sont habitués à être considérés comme des grandes personnes dès leur naissance. Si vous leur parlez comme à des adultes, ils essaient généralement de se comporter comme tel. À l’inverse, si vous vous conduisez comme une hystérique, ils deviennent de vraies terreurs. C’est l’un des préceptes que nos mères nous ont transmis mais qu’elles se sont visiblement empressées d’oublier en vieillissant…
Selon Elisabeth Badinter, l’éducation à la française (que Patricia Druckerman nous envie dans son livre «Bébé made in France») mélange savamment rigueur cartésienne et revendications naturalistes. Mais ce qui fait réellement notre différence, c’est que nous travaillons beaucoup. Heureuse- ment, les institutions se sont adaptées à ce facteur déterminant de notre société. Au delà de la qualité de nos crèches que le monde entier nous envie, l’école publique débute dès l’âge de 3 ans. Il est donc naturel de cumuler les rôles sans avoir l’air d’une mère indigne. Et si nos enfants semblent si bien élevés aux yeux des étrangers, c’est parce que nous avons hérité de principes datant de la monarchie. Les codes du savoir-vivre à la cour ont été diffusés à toute la société. Françoise Dolto nous a en outre poussées à considérer le bébé comme une personne à part entière et nos enfants comme des adultes en devenir…
En France, on n’arrête pas d’être une femme parce que l’on devient mère. Et cela commence dès le début de la grossesse. Dans son livre «Bébé made in France», Patricia Druckerman jalouse ces Parisiennes qui contrôlent leur poids avec aisance et qui continuent à se comporter comme des séductrices alors qu’elles sont en pleine gestation. Pour les citadines, l’enjeu est de poursuivre leur vie comme si de rien n’était : pratiquer des soft sports (yoga, vélo, marche rapide, natation, shopping) et manger équilibré trois fois par jour. Se gaver de barres chocolatées devant les comédies romantiques reste pour nous un cliché anglo-saxon.
Aux États-Unis, accoucher sous péridurale représente un aveu de faiblesse. Les vraies mums militent pour avoir le droit de ressentir le passage de l’enfant au moment de l’accouchement. Jessica Alba et Cindy Crawford sont d’ailleurs de ferventes ambassadrices de la cause naturaliste. En France, 70 % des femmes demandent la péridurale et dans certaines cliniques, celle-ci est pratiquée 9 fois sur 10. Souffrir pour la gloire, non merci ! Nous préférons garder notre énergie pour nous occuper de nos bébés une fois qu’ils sont nés.
Aux États-Unis, refuser d’allaiter relève de l’ignominie car vous privez votre enfant des anticorps auxquels il a droit. 90 % des nouveaux-nés américains sont allaités à la naissance et ils sont encore un sur deux à être nourris au sein au bout de 6 mois. L’allaitement est même devenu un sujet de compétition entre les femmes. Dans l’Hexagone, les mentalités sont très différentes car les jeunes mères ont commencé à donner des laits infantiles à leurs enfants dès le lendemain de la seconde guerre mondiale. Pendant les 30 Glorieuses, les femmes souhaitaient bénéficier de la croissance économique et l’allaite- ment était une entrave à leur réussite sociale. En outre, dans l’inconscient collectif, le sein est avant tout un objet érotique. Les Françaises approuvent l’allaitement les trois premiers mois mais estiment qu’au delà de six mois, il est une entrave pour réincarner l’épouse et la maîtresse qui sommeillent en chaque femme.
C’est l’expression favorite des nouveaux parents. Pour les Français, dormir fait en effet partie des premiers apprentissages qu’un enfant doit acquérir. Grâce à Françoise Dolto, on parle aux nourrissons comme à des adultes. Si un enfant réclame un biberon à 1 heure du mat’, on lui explique qu’il faut dormir pendant la nuit pour laisser reposer son estomac. En outre, ce n’est pas parce que notre bambin se réveille en pleine nuit qu’on le sortira immédiatement de son lit. Goûter au sentiment de solitude l’habituera à gagner en indépendance et à jouer tout seul en grandissant. Nous offrons souvent des doudous et des veilleuses à nos marmots pour les accompagner dans ces moments et renforcer leur sentiment de sécurité au moment du coucher.
Aux États-Unis, les crèches publiques ont mauvaise réputation car les métiers de la petite enfance sont mal reconnus et le personnel rarement qualifié. À l’inverse la crèche française est un lieu de garde prisé, encadré par des professionnels. Les enfants y prennent un rythme régulier grâce à des horaires stricts, apprennent à manger de tout grâce à des menus équilibrés et gagnent en autonomie grâce à des espaces de liberté sécurisés. On aime aussi la crèche parce qu’elle est un lieu de socialisation. Les enfants comme les adultes ont une vie et donc un jardin secret en dehors de la maison. En outre, le personnel d’encadrement est affectueux et bienveillant mais formé pour garder une relative distance. Ainsi, les parents ne se sentent pas menacés par une mère de substitution. Malheureusement, dans la plupart des grandes villes de France, il y a pénurie de places…
«Tiens-toi droit», «enlèves tes coudes de la table», «utilises ta serviette», «on ne parle pas la bouche pleine», «il faut demander la permission pour sortir de table»… En France, temple de la gastronomie, les repas dominicaux chez les grands-parents prennent l’allure d’examens de passage pour faire bonne impression. Nos chérubins doivent être exemplaires et patienter tranquillement entre les plats pour avoir droit à la récompense ultime : le dessert. Quand ils ont été polis, il est d’usage de les complimenter et de les comparer aux adultes. En France, devenir grand représente en effet le but ultime de tous les petits.
Après 20h30, c’est l’heure des grands. Instituer un couvre-feu est une invention des Français pour se retrouver seul à seul. Cela peut se révéler salvateur pour le couple. Les weekends, les enfants peuvent regarder une émission ou jouer un peu plus tard mais ils sont tenus de respecter une zone délimitée pour laisser les adultes décompresser entre eux.
En France, les heures des repas sont presque identiques d’une famille à l’autre. Nos bambins mangent quatre fois par jour, le goûter étant le seul snacking autorisé. Aux États-Unis, les enfants sont habitués à se servir dans le frigo dès qu’ils éprouvent une fringale car le midi ils se contentent d’une lunch box. En France, le programme national nutrition santé qui préconise « 5 fruits et légumes par jour » lutte contre l’obésité en proposant notamment des ateliers du goût. Les cantines et les crèches quant à elles, proposent 4 plats différents pour respecter un équilibre alimentaire. À l’adolescence, le diner devient également un lieu d’échanges prisé aussi bien par les enfants que par les parents. Selon l’Unicef, 90% des adolescents français de 15 ans et + partagent leur repas principal avec leurs parents contre 67% dans les pays anglo-saxons.
En France, les enfants doivent faire preuve de patience aussi bien dans le cercle familial que scolaire. Attendre fait partie du jargon parental et nos chérubins apprennent à se divertir seuls pour gérer ces phases. La patience est élevée au rang de ver- tu car elle développerait la concentration, la créativité et le raisonnement. Quand les Français fréquentent les restos des pays anglo-saxons, ils sont surpris par les activités proposées aux enfants (coloriages, clown, aire de jeu). En France, le repas étant considéré comme un moment de plaisir, il nous semble inutile de distraire les enfants en les éloignant de leur assiette.
La flatterie ne mène nulle part. Au delà de 4 ans, nous évitons de complimenter les enfants sur leur physique. À partir de l’école primaire, les enfants comprennent que les louanges sont des flatteries. Ils vous remercieront pour vos éloges mais ne prendront pas vos paroles pour argent comptant. En France on a très peur que les enfants deviennent prétentieux et vantards, du coup on en oublie trop souvent de les complimenter pour ce qu’ils font de bien.
Tu as dit bonjour à la dame ? Au revoir au monsieur ? S’il vous plaît et merci ? Ces mots «magiques», des milliers de parents les prononcent quotidiennement, du jour où l’enfant dit ses premiers mots jusqu’à sa majorité. La politesse est très importante pour les Français car l’éducation est le reflet de ce qu’on a inculqué à ses rejetons et un sujet de fierté. Elle nous renvoie à notre propre image. En outre, le maniement du vouvoiement nous permet de montrer du respect à nos aînés dès notre plus jeune âge. La politesse n’est pas seulement l’apanage des rois, c’est également un challenge qu’on donne aux tout petits…
Pédiatre et diplômée en psychopathologie de l’enfant, Edwige Antier est l’auteur de « Sois poli, dis merci » aux Editions Robert Laffont où elle revient sur tous les aspects de l’éducation à la française à travers un abécédaire comparatif. Rencontre avec une spécialiste du développement de l’enfant, passionnée d’anthropologie.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire « Sois poli, dis merci » ? L’insistance quotidienne, émouvante, des jeunes parents français à exiger de leurs très jeunes enfants qu’ils soient polis, disent bonjour et merci à chaque consultation au cabinet et à chaque départ de la crèche. Quels que soient leur âge, leur milieu social ou leur culture d’origine, en France, les parents veulent être fiers de l’éducation qu’ils donnent à leurs petits.
Qu’est-ce qu’un enfant « bien élevé »» selon vous ?
Un enfant heureux de la rencontre, capable d’empathie et de respect pour ce que ressent l’autre. L’attitude et le regard comptent autant que les formules de politesse.
Qu’est-ce qui différencie les mamans françaises des mères anglo-saxonnes ?
La mère anglo-saxonne veut d’abord que son enfant s’épanouisse. La mère française souhaite en premier lieu qu’il respecte l’autre.
Qu’est-ce qui a évolué dans l’éducation ces 20 dernières années ?
Les parents français ont hérité de principes qui datent de la monarchie. Les codes pour « savoir se tenir » à la cour ont rayonné sur toute la société comme les jardins qui sont toujours taillés d’équerre. Depuis, il y a eu Françoise Dolto qui nous a fait comprendre que «le bébé est une personne», qu’il faut parler aux enfants, expliquer. Cette alchimie entre les principes et la compréhension psychologique de l’enfant fait aujourd’hui cet art équilibré de « l’éducation à la française ».
La notion d’enfant roi est-elle en train de se propager en France ? Cette notion fait beaucoup de tort aux enfants et déstabilise les parents. Les petits Français n’ont jamais été aussi bousculés par des rythmes de vie frénétiques, des parents épuisés, une énorme pression sur les apprentissages. Mais au moindre burn-out dans un supermarché surchauffé, on crie à l’enfant roi !
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