Intraduisible en français, le Sisu plane sur l’art de vivre finlandais. C’est à la fois une vertu et une philosophie de vie que partagent les Finlandais dans leur quotidien, mais aussi pour faire face à des situations où l’homme est contraint de se dépasser. Le livre de Joanna Nylund met le Sisu à l’honneur et nous invite à nous en inspirer pour gagner en résilience, force intérieure et détermination.
Le sisu a été popularisé dans les années 1920 et se définit par un mélange de courage, de résilience, de cran, de stoïcisme, de ténacité́ et de persévérance, ce qui a façonné́ le destin de la nation et la vie quotidienne des Finlandais. Difficile à définir comme la plupart des constructions culturelles, son mystère est entretenu par l’extrême discrétion et l’impassibilité́ des Finlandais. Dans son joli livre Sisu, l’art finlandais du courage, paru aux éditions de l’Homme, Joanna Nylund nous enseigne comment appréhender le sisu pour améliorer notre vie et celle de notre progéniture
Le sisu fait partie de la langue finlandaise depuis cinq cents ans. Il désigne littéralement les tripes. Cette signification se baserait sur une croyance très ancienne selon laquelle la force proviendrait du ventre. Pour la militante sociale Emilia Lahti, le sisu se définit comme « l’aptitude de tous les humains à dépasser leurs limites perçues et à exploiter leur réserve de courage ». Quand nous avons envie de renoncer, il est le second souffle qui nous pousse en avant. Il serait aussi l’une des explications du bonheur finlandais car il aurait des vertus positives sur la communauté. Le sisu se transmet de génération en génération mais aussi, dans le quotidien, d’une personne à l’autre, car derrière cette force intérieure indéchiffrable, il y a toujours une détermination ou un dessein qui force l’admiration. Sisukkaasti, « agir avec sisu », ou sisukas, « avoir beaucoup de sisu », sont des qualités très estimées mais restent des fiertés discrètes car il n’y a pas plus grosse tare pour un Finlandais que la vantardise. Le sisu fait partie du patrimoine culturel finlandais au même titre que le sauna et le salmiakki, les bonbons salés à la réglisse si prisés des Finlandais.
Face à la maladie, la perte d’emploi ou le deuil, nous traversons toujours une période de sidération. Pour Emilia Lahti, « le sisu commence là où la force perçue s’épuise. Le sisu intervient lorsque le destin semble s’être ligué contre vous et qu’il semble impossible de triompher des circonstances ». Sa plus belle illustration a été révélée au monde à l’automne 1939, quand le pays a été envahi par l’Union soviétique. Les Russes disposaient d’effectifs au moins trois fois supérieurs, trente fois plus d’avions et cent fois plus de chars. Cette année-là, l’hiver était particulièrement rude avec des températures avoisinant les -43 °C. Par ailleurs, les soldats mobilisés ne possédaient ni armes, ni uniformes. Les Finlandais ont dû rassembler tout leur courage et toutes leurs forces pour résister face à l’ennemi et triompher : ils étaient d’excellents skieurs de fond, savaient se camoufler avec des tenues blanches pour ne pas se faire repérer sur la neige, agir en petits groupes façon guérilla et combattre le froid en cumulant les vêtements. Ce qui différenciait les Finlandais des Soviétiques, relate l’historien William R.Trotter dans son livre A Frozen Hell, c’est indubitablement leur sisu. Morale de l’histoire ? Lorsqu’on semble faire face à une situation désespérée, mieux vaut sortir des sentiers battus pour trouver des solutions innovantes et tirer parti de ce qui paraît être nos faiblesses. Les Finlandais disent qu’il faut se braquer (tenir bon) pour ne pas capituler. Pour Joanna Nylund, quand Churchill a proclamé son célèbre « Nous ne nous rendrons jamais », il a fait appel au sisu des Britanniques.
Pour faire face à une situation qui exige de la bravoure, l’auteure nous prodigue trois précieux conseils. La première relève de la préparation. Plus la situation vous rend nerveux, plus elle exige d’anticipation, donc prenez soin de vous ! Quand on fait face à un contexte difficile, il faut, plus que jamais, dormir suffisamment, s’oxygéner en extérieur et manger sainement. Dès que des occasions se présentent, aménagez-vous des pauses zen en pratiquant la méditation ou la respiration profonde en pleine nature pour faire taire les bruits parasites qui vous étouffent. C’est la meilleure recette pour retrouver calme et lucidité́. Il faut savoir que le sisu s’expliquerait en partie par l’environnement hostile dans lequel les Finlandais évoluent. La rudesse du climat est sans égale avec des températures jusqu’à -30 °C l’hiver et de 0 à 25 °C l’été. Par ailleurs, les journées sont soit ultra courtes l’hiver, soit ultra longues l’été. On parle de 24 heures d’ensoleillement au nord de la Finlande l’été (contre 19 heures au sud) et, au maximum, de 6 heures d’ensoleillement l’hiver (et seulement au sud). La nuit polaire (kaamos) est la période de 50 jours durant laquelle le soleil ne s’élève pas au-dessus de l’horizon au-delà du cercle arctique, soit dans la partie la plus septentrionale de la Finlande.
Conscients des TAS (troubles affectifs saisonniers) qui les guettent, les Finlandais hibernent en famille ou entre amis à grand renfort de bougies, de feux de cheminée, de jeux de société, de films et de boissons revigorantes. Ils fréquentent également assidûment les saunas (leur bouée de sauvetage hivernale) que l’on retrouve absolument partout : à la maison, dans des spas municipaux, mais aussi au sein des entreprises. Par ailleurs, les lampes de luminothérapie fleurissent çà et là dans les open-space des grandes sociétés d’Helsinki. Les Finlandais habituent très jeunes leurs enfants à être en extérieur quels que soient le temps ou l’heure du jour. Une fois bien emmitouflé, on peut affronter sans craintes la pluie ou la neige. L’air sain et le froid revivifient en moins d’une demi-heure. D’ailleurs, faire faire la sieste en extérieur à son bébé est une pratique finlandaise courante et réputée très saine. Mais malgré toutes ces stratégies, l’hiver est long et laisse le pas à des mois entiers de grisaille et de gadoue saupoudrés de neige mouillée en demi-saison. C’est ce qui explique que les Finlandais sont tous de sortie, bravant le blizzard, dès les premiers rayons chauds du soleil, emmitouflés dans des plaids, thermos de café à la main. D’ailleurs, dès qu’il fait beau, rester chez soi est considéré comme un sacrilège et les activités atteignent des niveaux paroxystiques. En été, les Finlandais fêtent tous le vappu (le printemps) et le juhannus (le solstice d’été). Si le vappu donne lieu à d’immenses pique-niques à grand renfort de hot dog, de barbes à papa, de champagne et de ballons, le juhannus se passe sur la plage, autour d’un feu de joie (le kokko) pour boire et dîner au soleil de minuit.
Descendants de paysans, les Finlandais disposent de quelque 187 000 lacs et 179 000 îles. L’ours brun, le plus grand prédateur d’Europe, est d’ailleurs l’animal national. Chaque famille ou presque possède, de près ou de loin, un mokki, chalet d’été au confort rudimentaire pour vivre quelques semaines au plus proche de la nature. Plus le mokki est difficile d’accès (en bateau, par exemple), plus il est prisé. Les Finlandais les plus nantis détiennent même l’île sur lequel est situé leur chalet. Au menu de ces semaines à l’écart de la civilisation ? Baignade, pêche, marche, cueillette et promenades en bateau. Si les mokkis sont rarement équipés en électricité et en eau, ils bénéficient généralement d’une cuisinière et d’un foyer pour se réchauffer. Pour les Finlandais, la nature est comme une extension de leur salon. Naturalistes à l’extrême, toujours curieux de la faune et de la flore, ils attribuent des pouvoirs antidépresseurs aux grands espaces. La détox numérique est d’ailleurs un sujet de conversation récurrent à leur table à l’approche du printemps.
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